Destructions à Gaza

Un an de guerre : quelque chose a changé ?

L’écrivain et journaliste algérien Taoufik Rebahi revient dans le quotidien Al-Quds Al-Arabi sur le bilan d’un an de guerre à Gaza et au Liban. Face au soutien inconditionnel apporté par les pays occidentaux à Israël, il appelle paradoxalement à un changement extérieur à la région afin de régler les problèmes internes de celle-ci.

Les guerres qu’Israël mène depuis un an à Gaza et au Liban, compte tenu de leur terrible coût humain et matériel pour l’Etat hébreu, devraient permettre de tout changer et instaurer dans la région, pas seulement à Gaza et au Liban, une situation politique, stratégique et humanitaire complètement différente.
Mais est-ce que quelque chose a réellement changé ? En apparence, beaucoup de choses, notamment l’opinion publique et même la classe politique occidentales à l’égard d’Israël. Mais en réalité, ce n’est pas le cas. La guerre, la haine, les tragédies humaines et la douleur demeurent identiques. Le plus grave est que la vulnérabilité de la région aux guerres et sa soif de conflits n’ont pas changé, voire augmenté.
Israël et ceux qui croient que la force militaire lui permettra de « discipliner » la région et de contrôler sa population ont tort. En réalité, les tragédies causées aujourd’hui par le terrorisme israélien encouragé par cette croyance ne sont pas un remède aux blessures de la région, mais plutôt une recette pour davantage de haine, de rancœur et de conflits durant les cent prochaines années. Ce qu’Israël fait subir aux Palestiniens et aux Libanais ne les rendra pas dociles mais contribuera à former des générations de futurs combattants, que personne n’aura le droit de blâmer pour leur colère et leur désir de vengeance.
Rien ne change parce que personne ne le veut et parce que la force ne permet pas d’obtenir un changement réel et durable.


Les défenseurs de leur terre refusent le changement et obéissent aux lois naturelles qui légitiment l’autodéfense, conformément à l’instinct humain refusant l’injustice et la soumission.
Israël refuse de changer et de renoncer à sa doctrine raciste ainsi qu’à son désir effréné de tuer et d’humilier. Ce qu’il fait depuis un an s’inspire de cette doctrine, qui se manifeste entre autres dans la persistance à éliminer dirigeants et symboles, en oubliant que les assassinats physiques ne serviront à rien, et que s’ils servaient à quelque chose, le 7 octobre n’aurait pas eu lieu.

Les élites et médias occidentaux refusent de changer. Ils voient les faits mais leur tournent le dos. Le formidable élan humanitaire dans les universités et autres manifestations culturelles et artistiques en Europe ainsi qu’aux États-Unis n’a rien changé au cours des événements et n’a pas arrêté la guerre, parce que les décideurs ont un tout autre avis : non seulement ils refusent le changement mais ils poursuivent ceux qui ont les yeux ouverts et tentent de se rebeller contre la ligne officielle préétablie. Les élites et médias occidentaux sont arrogants et refusent de tirer les leçons d’une année de guerre barbare qui n’a pas permis à Israël de l’emporter. Leur vision des événements est issue d’une mentalité étroite et figée dans la paresse. Voici quelques-uns de ses principes : il n’y a aucune objection à asservir les Arabes et les personnes de couleur ainsi qu’à faire couler leur sang ; l’histoire a commencé le matin du 7 octobre 2023 ; les massacres perpétrés par l’armée d’occupation israélienne à Gaza, en Cisjordanie et maintenant au Liban sont acceptables tant qu’ils ne dépassent pas une certaine limite (un modeste appel à ne pas cibler les civils suffit alors, presque accompagné d’excuses pour la gêne occasionnée) ; la vie d’un juif israélien est sacrée et plus précieuse que celle d’un Arabe ou d’un Palestinien (regardez les pleurs continus à travers le monde à propos des otages israéliens à Gaza, comparés au silence assourdissant sur le sort de milliers de prisonniers palestiniens en Israël, certains condamnés à des centaines d’années et dont beaucoup sont emprisonnés administrativement pendant des années sans inculpation et sans espoir d’un procès imminent).

Les dirigeants arabes rejettent le changement. Le désir de certains régimes arabes de normalisation avec Israël est ferme et n’a pas bougé. L’Égypte et la Jordanie sont résolues à suivre cette direction, et l’histoire s’en rappellera. L’Arabie Saoudite attend la fin de la guerre contre Gaza pour reprendre les négociations sous la table et peut-être au grand jour. Les régimes qui ont choisi la normalisation sous l’égide des « Accords d’Abraham » attendent un apaisement pour élargir leurs « gains » avec Israël. Les dirigeants arabes qui suivent cette approche sont motivés par la conviction qu’Israël mène des guerres contre des factions et des organisations rebelles dont il va les débarrasser. Deux semaines après le début de la guerre israélienne contre Gaza, l’ancien envoyé américain au Moyen-Orient, Dennis Ross, a écrit à ce sujet dans le New York Times : il a déclaré que des dirigeants de pays de la région lui avaient confié qu’ils seraient heureux de l’élimination du Hamas, mais ils lui ont demandé de ne pas révéler leurs propos.

Cette inaction et ce rôle de spectateur rendent tous les hommes complices du crime, chacun selon sa place et son poids. Les pays économiquement plus forts qui contrôlent le destin du monde sont davantage responsables que les pays marginaux.
Les États-Unis sont un partenaire actif du terrorisme israélien… L’argent est américain, les armes sont américaines, les conseils sont américains, la couverture politique, diplomatique et juridique est américaine et le désir de tuer des Arabes est américain.
L’Union européenne n’est pas non plus innocente. Certains pays européens sont des partenaires actifs, comme la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne, tandis que d’autres le sont en gardant le silence et en s’abstenant de faire pression sur Israël, alors qu’ils le pourraient.
C’est donc au monde de changer, et non au Moyen-Orient. Cette région est victime d’un piège tendu par le monde. Lorsque l’approche de ce dernier changera et qu’il ne capitulera plus face à Israël, de nombreux problèmes de la région seront résolus.

Cela doit commencer par une véritable volonté de freiner Israël et de mettre un terme à son terrorisme d’État envers les peuples et Etats, avant de forcer les Palestiniens à travailler ensemble et de les convaincre de l’importance des sacrifices pour le bien de leur peuple. Ces sacrifices signifient faire des concessions et mettre certains désaccords de côté pour rendre la coexistence possible. Le Fatah ne peut monopoliser le pouvoir et le Hamas ne peut répondre aux demandes des Palestiniens, qui grandissent et se complexifient de jour en jour.
Il s’agit ensuite de permettre au Liban de ne pas être un État failli, obligé, comme c’est le cas aujourd’hui, d’attendre l’approbation de cinq ou six capitales étrangères pour nommer un juge à la Cour suprême, ouvrir une enquête sur le directeur de l’aéroport de Beyrouth ou le gouverneur de la Banque centrale.
Cela nécessite de revoir les politiques et les positions des pays arabes, qui comptent désormais dans leurs rangs des personnages soumis, passifs, perdants et iniques. Ils en sont arrivés à ce stade parce qu’ils ont changé leurs priorités et fait des concessions majeures qui leur ont coûté leur dignité.

Lien vers l’article original : https://www.alquds.co.uk/%d8%b9%d8%a7%d9%85-%d9%85%d9%86-%d8%a7%d9%84%d8%ad%d8%b1%d8%a8-%d8%aa%d8%ba%d9%8a%d8%b1-%d9%83%d9%84-%d8%b4%d9%8a%d8%a1-%d9%88%d9%84%d9%85-%d9%8a%d8%aa%d8%ba%d9%8a%d8%b1-%d8%a3%d9%8a-%d8%b4%d9%8a/

Traduit de l’arabe par Sami Mebtoul

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